Nicole Kidman est heureuse? et cela se voit. Radieuse, elle est arrivée en avance sur le tapis rouge de la célèbre salle « Roy Thompson Hall de Toronto », pour saluer les fans, serrer des mains et prendre des selfies. L’actrice australienne présentait deux films au Festival international de Toronto. Mise à mort du cerf sacré, de Yorgos Lanthimos, prix du Meilleur scénario au dernier Festival de Cannes, et The Upside, le remake US d’Intouchables, dans lequel Nicole Kidman reprend le personnage joué par Audrey Fleurot dans le film original. Patiente, Nicole prend le temps de discuter avec ce public torontois qui est venu l’accueillir. Son époux, Keith Urban, est à quelques mètres. Dix ans déjà que l’actrice et la star de la country music sont mariés. Quand ils ne sont pas dans leur ferme à Nashville, ils passent du temps chez eux, en Australie, avec leurs deux filles. Lorsque Nicole travaille, Keith lui rend visite, quel que soit le pays où elle tourne. Lorsque Keith est en tournée, elle assiste à un ou deux concerts. L’actrice et le musicien semblent avoir trouvé le bonheur, guidés dans leur vie et dans leur carrière par ce zen australien, le fameux « no worries ».
R.M. : Mythe ou réalité ? Y a-t-il vraiment une fraternité entre les acteurs australiens ?
N.K. : C’est la réalité. Beaucoup d’entre nous se connaissent depuis longtemps. Même lorsque de nouveaux acteurs australiens débutent à Hollywood, on essaye de les rencontrer à travers les événements australiens à Los Angeles. Je pense à Mia Wazokowska (Alice au pays des merveilles, ndlr). J’ai fait un film avec elle car je veux toujours travailler avec la prochaine génération d’acteurs australiens. Mia est dans la lignée de Cate Blanchett. Elle a cette beauté classique et énormément de talent.
R.M. : Que ce soit Cate Blanchett, Abbie Cornish, Russell Crowe ou Hugh Jackman, quand on s’entretient avec vous, on a toujours l’impression que vous êtes très naturels, cool. C’est l’Australie qui fait ça ?
N.K. : Je crois que les Australiens sont naturellement ainsi. On est très directs, surtout les Australiennes. Il faut avoir une certaine force car c’est une culture qui ne supporte pas de perdre. On se bat avec les garçons, physiquement et mentalement. En Australie, il n’y pas vraiment de classes sociales. Personne n’est supérieur à l’autre. Et quand la réussite est au rendez-vous et qu’on a du succès, on ne s’en vante pas. On reste humbles et on continue à travailler. Je pense que c’est la meilleure façon de décrire les Australiens.
R.M. : Toujours à propos de l’Australie, maintenant que de l’eau a coulé sous les ponts, comment expliquer le fait que le film Australia de Baz Lurhman n’ait pas marché au box-office ?
N.K. : J’ai vu Australia plusieurs fois et je devrais d’ailleurs le revoir. Je pense qu’on attendait tellement de Baz Lurhman qu’il n’a pas eu assez de temps pour finir le film qu’il voulait vraiment faire. Australia est très un beau film et on m’en parle souvent, surtout dans mon pays. Peut-être aussi que les gens espéraient un film différent. Peut-être qu’ils pensaient que ce serait un nouveau Souvenirs d’Afrique. Mais Australia n’est pas l’Afrique et Baz n’est pas Sydney Pollack. Je reste toutefois son plus grand fan. C’est grâce à Baz que j’ai remporté un Oscar (Moulin Rouge, ndlr). Mais au-delà des prix, Baz est très important pour notre histoire du cinéma, celle de l’Australie mais aussi celle d’Hollywood. Je le soutiendrai toujours à cent pour cent et je suis prête à travailler avec lui à nouveau dès qu’il me le demandera.
R.M. : Vous prenez des risques lorsque vous acceptez un rôle ?
N.K. : J’espère ! Mais je n’y pense jamais. Je ne me dis pas : “Allez je vais prendre un rôle risqué”. Depuis quelques années, j’ai décidé de faire des films différents, de découvrir de nouveaux territoires. Je cherche des rôles que je n’ai jamais joués auparavant. J’essaye surtout de me surpasser.
R.M. : Après Grace de Monaco, vous seriez prête à retravailler avec un réalisateur français ?
N.K. : Oui, absolument. Je veux travailler avec François Ozon. On a failli tourner ensemble mais le projet ne s’est pas fait. J’ai tourné avec des cinéastes espagnols, des Grecs, des Anglais, des Australiens, des Coréens. Je voudrais travailler avec tellement de nationalités. Je suis prête à voyager à travers le monde pour trouver ces réalisateurs, à avoir une vie de nomade s’il le faut. Je me considère avant tout comme une actrice internationale. Je ne représente pas un pays en particulier, ni un genre de cinéma. Je suis gauchère. J’ai été élevée dans une famille libérale où nous parlions politique et philosophie, et je cherche toujours ce genre de personnes.
R.M. : Votre père est psychologue. Est-ce qu’il a déjà analysé vos rôles ?
N.K. : Je ne sais même pas s’il a vu tous mes films. (Rires) Mais il m’a appris beaucoup de choses. Des techniques que j’applique encore aujourd’hui : comment rester calme, comment respirer proprement. Ce métier n’est pas facile et l’industrie du cinéma ne pardonne pas. Mon père m’a aidée à avoir un cadre et une structure dans ma vie. Cela ne l’empêche pas de me considérer comme la « brebis galeuse » de la famille. (Rires) Quand on voit mes parents avec ma mère qui est infirmière, on se dit : d’où vient cet enfant ? (Rires) Mes parents n’ont aucun rapport avec le théâtre ou le cinéma.
R.M. : Je me souviens de votre maman, au moment où vous aviez gagné l’Oscar (pour Moulin Rouge, ndlr), elle avait dit : « Je m’attendais à ce que Nicole fasse de grandes études ».
N.K. : C’est vrai ! C’est à ce moment-là que j’ai réalisé que tout au long de ma carrière, j’ai voulu faire plaisir à ma maman. Je voulais qu’elle me dise : « Bravo ! Fantastique ! Tu es géniale ! ». (Rires) Mes parents ne s’intéressaient pas du tout à ma carrière. Cela me blessait quelque part, mais j’ai fini par comprendre que ce n’était pas leur vie. C’est marrant, car aujourd’hui, c’est ma mère qui m’encourage à prendre des rôles que je n’aurais pas forcément acceptés.
R.M. : Les réalisateurs qui ont travaillé avec vous disent tous que vous leur faites entièrement confiance.
N.K. : Quand je choisis de travailler avec un réalisateur, je suis dévouée. Cela veut dire que je ne me censure pas. Je ne dis jamais non à un réalisateur. Les fois où j’ai dit non à un metteur en scène se comptent sur les doigts d’une main. Stanley Kubrick, qui m’a dirigée dans Eyes wide Shut m’a conseillée de tout essayer. Il disait qu’on ne sait jamais ce qui nous attend. Très souvent, pour jouer un rôle, on vous demande de faire des choses où vous ne vous sentez pas très à l’aise. C’est très bien de ne pas l’être. C’est très bien de ne pas être sur la terre ferme. C’est très bien de se laisser porter par les scènes, de ne pas couper chaque prise pour voir ce qui se passe. C’est un énorme pouvoir en fait.
R.M. : Vous avez été toujours ainsi ?
N.K. : On nous apprenait cela en cours de théâtre. Vous savez, si vous prenez Meryl Streep, ou Greta Garbo, tout au long de leur carrière, elles ont toujours été obsédées par leurs rôles. C’est encore le cas aujourd’hui pour Meryl Streep. Elle va au fond de la psychologie de son personnage, elle apprend les accents. J’ai entendu dire que Meryl Streep pouvait parler polonais quand elle a joué dans Le Choix de Sophie. C’est un travail qui doit être fait en amont. La barre doit être placée très haut.
R.M. : Vous imitez très bien les accents. Je me souviens de Birthday Girl, dans lequel vous jouiez une Russe…
N.K. : Vincent Cassel et Mathieu Kassovitz n’étaient pas mal non plus dans ce film. (Rires) Je me souviens que nous avions tourné à Sydney. Pour nous préparer, nous avions fait le tour des bars russes pour observer les gens et les entendre parler. J’ai appris un peu le russe. J’ai rencontré des filles et on a passé de longs moments ensemble. Je suis tombée amoureuse de la langue et du pays. Je me disais : « Je veux aller en Russie, je veux jouer Tchekhov en Russe ! ». (Rires) Oui, Je deviens un peu obsédée. C’est sûrement une bonne qualité pour un acteur et surtout pour un réalisateur. C’est peut-être pour cela que je me sens aussi bien avec d’autres gens aussi persistants que moi.
R.M. : Vous vous souvenez de votre première cérémonie hollywoodienne ?
N.K. : Oui. C’étaient les Golden Globes. J’avais été nommée pour Billy Bathgate (1992, ndlr). J’étais la petite nouvelle et je n’avais pas fait grand-chose à Hollywood. J’avais 25 ans. Quand on m’a annoncée que j’étais nommée, j’étais tellement heureuse, car je venais à peine d’arriver en Amérique et j’étais en couple avec un homme très, très célèbre (Tom Cruise, ndlr). À cause de cela, mon propre travail était toujours relégué au second plan. D’avoir été reconnue en tant qu’actrice, c’était exceptionnel pour moi. Je ne l’oublierai jamais.
R.M. : Je vous ai entendu dire à plusieurs reprises « quand j’étais au summum de ma carrière ». Vous y êtes toujours, non ?
N.K. : Je ne parlais pas de célébrité lorsque j’ai dit cela. Je faisais allusion au parcours artistique que je me suis fixée et que je continue à poursuivre. J’espère que je vous verrai encore quand je serai très vieille. (Rires) Je sais que le désir qu’ont les gens de me voir dans les films peut varier. On passe de haut en bas, puis on remonte. J’accepte ces montagnes russes. Je veux dire que ce n’est pas cela qui m’empêchera de continuer mon parcours artistique. Que je joue pour dix personnes à Nashville ou pour des millions de personnes, l’Art ne change pas vraiment.
R.M. : Lorsque vous regardez votre parcours jusqu’ici, qu’est-ce qui vous satisfait le plus ?
N.K. : La diversité de mes rôles. J’ai eu la chance de jouer tellement de rôles variés, de pouvoir entrer dans la peau de quelqu’un d’autre, et d’avoir des réalisateurs qui m’ont suivie. Peu d’acteurs ont eu autant d’opportunités. Je respecte énormément tous ces cinéastes qui prennent des risques. Ils ne savent pas vraiment si leur acteur ou leur actrice va pouvoir jouer le rôle qu’ils ont en tête.
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