Pour commencer, il est important de rappeler l’importance, d’un point de vue traditionnel, de la conception du monde polynésien et notamment le sens des mots qui s’y réfèrent. Heiva se traduit (selon l’académie tahitienne) par : « passe-temps, divertissement, exercice physique de danse ou encore, une assemblée réunie pour danser ». Heiva peut également se traduire par : « célébration », d’où l’expression courante « ‘a heiva ana’e ! » qui signifie « que le heiva soit ! »
D’un point de vue historique, au XVIIIe siècle, les premiers navigateurs européens relatent dans leurs écrits que l’organisation sociale polynésienne était hiérarchisée et rigoureusement structurée par le système régit par la caste des Ari’i, des chefferies. La confrérie ou caste des ‘Arioi y occupait une place privilégiée. Les ‘Arioi étaient les dépositaires des traditions artistiques et animaient notamment les festivités dites ‘upa’upa qui comprenaient : les danses, les chants, la musiques, le théâtre ou la lutte, et bien plus encore. En 1819, avec l’appui des missionnaires anglais, le code Pōmare est promulgué : il interdit les ‘upa’upa. Ce code va bouleverser à jamais la vie ainsi que les us et coutumes des Polynésiens.
En 1845, sous le protectorat français, les ‘upa’upa font leur retour, autorisées, mais fortement réglementées. Le premier concours de hīmene, chant polyphonique, a lieu en 1867 à Papeete. En 1880, la fête nationale du 14 juillet est instituée en France et célébrée un an plus tard à Tahiti. À partir de 1881, les festivités se regroupent au centre-ville, sur la place Tarahoi. Il y a alors des hīmene, des tū’aro mā’ohi (sports et jeux traditionnels), des régates, des courses d’aviron, mais aussi de toutes sortes de va’a : va’a tā’ie (pirogue à voile), va’a tau’ati (pirogue double), va’a toru (pirogue de trois rameurs à la pagaie). On y montre également la Fête des fleurs avec les premières voitures fleuries.
Dix ans plus tard, en 1891, l’organisation des festivités est confiée à la municipalité de Papeete.
Ayant lieu en juillet, ces festivités sont populairement appelées tiurai, mot emprunté à l’anglais july, qui signifie juillet. En 1892, le premier concours de danse a lieu, indissociable des chants traditionnels, qui deviennent incontournables. Le tiurai, c’est aussi l’occasion de revoir la famille des mata’eina’a (qui signifie clan, district, ancienne division territoriale et des îles). Les gens « descendent » à Papeete et s’installent ponctuellement dans des pūhapa, campements temporaires, situés dans les écoles de la ville. Avec fierté, ils présentent leurs légendes et faits historiques.
On ne peut pas parler du tiurai sans mentionner les papiō : les manèges, la fête foraine, les baraques, les jeux, etc.
Cependant, le tiurai est suspendu après le bombardement de la ville de Papeete en 1914, en 1918 durant la Première Guerre mondiale, puis à nouveau, pendant l’épidémie de grippe en 1947. Les festivités reprennent au début des années 1950. Madeleine Mou’a, dite Mamie Madeleine, fonde une troupe de danse nommée Heiva Tahiti, dont les danseuses appartiennent aux familles les plus « honorables » de l’île. Véritable précurseur, elle instaure les standards des costumes et le positionnement des instruments traditionnels au sein des orchestres. C’est le début de la renaissance culturelle. Le tiurai, installé place Vaiete depuis 1968, prend l’appellation Heiva en 1985, renouant ainsi avec les Heiva des ‘Arioi des temps anciens.
En l’an 2000, pour célébrer le nouveau millénaire, le Heiva cède la place à un festival qui réunit, pour la première fois depuis trois siècles, des délégations venues de tous les archipels. Ce Festival inaugura l’aire de spectacle de To’atā, qui reste depuis l’écrin des ‘ōrero (art oratoire), des percussions, des chants et des danses polynésiennes, tous archipels confondus… nous fêtons ainsi plus de 140 ans de Heiva ! Le ‘ori tahiti et les nombreux domaines véhiculés par celui-ci ont évolué dans le temps et dans la pratique, depuis les pas de danse, le nombre d’artistes réunis sur scène, la composition de l’orchestre, la complexité des costumes toujours renouvelée et surtout la valorisation du reo tahiti à travers les ‘ōrero, etc.
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