
Photo : Tevahitua Brothers ©
Il y a des rencontres qui vous secouent plus que d’autres. Une vie de détresse qui ouvre les yeux sur une autre réalité. En ce mois de mars pendant lequel on fête la Journée internationale des droits des femmes, il était important de faire résonner une parole forte. Celle d’une petite fille abusée et maltraitée, devenue une femme qui se tient bien droite et qui désormais apporte son aide aux personnes en détresse.
«Quand je reçois des per-sonnes en détresse, je leur parle de ce que j’ai vécu : on s’en sort. » La première rencontre avec Tevahine s’est faite autour de l’artisanat, mais à travers les mots de ce premier témoignage, on devinait une histoire difficile qu’elle avait réussi à surmonter pour construire sa propre vie. Aujourd’hui, en la voyant, on constate sa réussite : une fleur à l’oreille, une belle robe locale, son panier avec ses dossiers. Une chef d’entreprise qui a monté son atelier et participe aux événements organisés par le service de l’Artisanat. Une personne-ressource même car elle part bientôt dans les îles pour animer des formations sur l’artisanat. Elle a le sourire, est toujours prête à discuter et se tient bien droite. Et pourtant, sa vie a été une succession de malheurs, mais « on s’en sort », comme elle le répète. En ce mois pendant lequel on célèbre la Journée internationale des droits des femmes, la voix de Tevahine Teariki résonne avec puissance. « On m’a demandé de faire un livre sur ma vie, mais j’ai toujours refusé. Je voulais attendre que mon grand-père ne soit plus là, car ça fait honte à la famille… » Celui-ci, avant de mourir, lui dit ces mots : « Vis et arrête de te comporter comme une esclave. » Désormais, elle se sent plus libre de raconter et surtout elle veut respecter le souhait de son grand-père : vivre ! C’est lui qui l’a élevée, à Nukutavake. Sa mère était partie avec un autre homme, la laissant sur le quai de l’atoll. Une de ses sœurs, qui deviendra sa maman fa’a’amu, la récupère et la ramène chez le grand-père. Six années de bonheur pendant lesquelles elle est « pourrie-gâtée » comme elle le raconte en rigolant. Et puis un jour, sur la radio, son père biologique se manifeste : « Ramène-moi ma fille. » Le grand-père est un peu vexé, mais obéit et c’est le départ pour Tahiti. « On faisait un voyage. Il ne nous avait pas dit pourquoi on partait. »
Tevahine garde en souvenir le quai de Motu Uta, toutes les voitures et l’arrivée dans une nouvelle maison à Papeete où elle ne connait personne. « Il n’y avait pas autant de maisons qu’aujourd’hui… Ce soir-là, je n’ai pas beaucoup dormi, je sentais qu’il se passait quelque chose. » Quand elle se réveille brusquement, une voiture démarre, son grand-père la quitte. Elle l’attendra pendant plusieurs jours, sous un manguier… Ce retour à Tahiti sera le début de toutes les difficultés pour Tevahine qui bascule alors dans un monde qu’elle ne connaissait pas. Il y a les retrouvailles familiales, mais il y a aussi la violence, des agressions et des viols. « J’ai beaucoup pleuré et prié pour que mon grand-père revienne me chercher, je me suis accrochée à la prière, ça m’a permis de tenir. » Elle s’accroche à l’école qui devient un refuge. C’est un moyen pour elle de s’en sortir : se plonger dans les livres d’histoire ou de géographie qu’elle adore lui permet d’oublier ce qu’il se passe. Elle essaye bien d’en parler, mais la situation empire. Quand elle raconte les viols, on la traite de menteuse et on l’incite à se taire. « On ne me croyait pas. Je voulais mourir. » Quand elle raconte ces épisodes, les larmes de Tevahine coulent sur son visage mais elle reprend son souffle, « il faut que ça sorte tout ça ». Pendant toutes ces années, sa mère biologique qui regrette de l’avoir laissée sur le quai de Nukutavake la cherche. Un jour, Tevahine prend le truck et réussit à aller jusqu’à la maison qu’on lui a indiquée, elle voit des femmes discuter ensemble sur la terrasse : « Viens ! Comment t’appelles-tu ? Et comment s’appelle ton papa ? » En entendant les réponses, une des dames pleure. « C’est toi ma maman », lui dit Tevahine. Elle restera chez sa mère pendant quelques jours. « C’était bien, ma mère voulait se rattraper. Elle s’en voulait de m’avoir abandonnée sur le quai. » Mais à nouveau, elle va faire face à la violence. Elle subit encore un viol et prend la décision de s’enfuir. Elle a 13 ans et se retrouve à la rue.
La faim, l’impossibilité de se laver correctement, la survie… Heureusement, certains lui tendent la main. Du personnel d’un restaurant lui laisse une barquette de temps en temps, un couple…
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