
Photo : Cartouche Louise-Michèle ©
Les cheveux lâchés, les yeux écarquillés, le visage convulsé de douleur… dans le rôle de Huiroro, cette reine de Hao qui devine, dans ses cauchemars, l’arrivée des étrangers et la destruction de son île, Punaheihere Prokop est stupéfiante. Et puis une semaine plus tard, elle est Pozzo, une châtelaine autoritaire et méprisante, qui tient un homme en laisse dans la pièce de Samuel Beckett, En attendant Godot. Un grand écart qu’elle a adoré. Philosophe et comédienne, elle rêvait de plusieurs vies et trouve sur scène une manière d’explorer toutes ses facettes.
Elle a d’abord voulu être vétérinaire, astronaute, docteur… Pour faire tous ces métiers, autant être comédienne ! Elle se souvient de ces soirées cinéma du dimanche qui se finissaient devant une crêpe. Peut-être est-ce cette tradition familiale qui lui a donné le goût du théâtre ? Elle ne sait pas vraiment d’où vient cette envie qui a toujours été dans son cœur. Le théâtre d’un côté et la philosophie de l’autre. Quand elle fait son Deug en communication, elle réalise l’importance des mots. Elle part en France pour suivre des études, d’abord dans la diplomatie avant de bifurquer en philosophie. « Je ne savais pas vraiment quel métier j’allais pouvoir faire, mais j’avais envie de prendre du recul, de me poser les bonnes questions, ce n’est pas toujours facile de comprendre pourquoi on a mal. » Elle est installée dans le 6e arrondissement, à côté du Conservatoire et de l’église Saint-Sulpice, au cœur de Paris : « Une vie étudiante rêvée. » Car Punaheihere a véritablement deux amours, son pays et Paris, tout comme la chanson. Son premier voyage à Paris, elle l’a fait à 15 ans pour un stage de piano et n’a jamais oublié son émerveillement. « Paris, c’est tout ce que j’aime : la mode, la culture, la philosophie, la musique, le théâtre, les arts… C’est une ville exigeante, il faut toujours être performant, nous sommes serrés les uns sur les autres et tout le monde est pressé, mais quand on regarde autour de soi, on voit toutes ces belles choses. Paris, c’est un musée à ciel ouvert. On passe dans une rue et on voit des plaques : ici a vécu Descartes, Oscar Wilde, Verlaine ! » Et la Polynésie n’est pas loin : sa culture est ancrée au fond de son cœur et le ‘ori tahiti est le moyen de la libérer. Avec une association polynésienne, elle participe régulièrement à des spectacles de danse.

Photo : Cartouche Louise-Michèle ©
Et puis elle pousse la porte du cours Florent. Elle n’a encore jamais fait de théâtre, mais ne cesse d’y penser. « Finalement, la philosophie raconte la nature humaine, tout comme le cinéma et le théâtre. Ces disciplines aident à mieux comprendre qui on est et se sentir au plus près de la vie. » Une vie complexe, lumineuse et obscure à la fois. « Et il faut accueillir les deux, être comme un funambule. Actrice ou philosophe sont deux métiers initiatiques. » Deux activités où on se confronte à l’humanité. Aux cours Florent, elle passe trois années à jouer dans des pièces contemporaines, classiques ou des créations. Elle se découvre en tant qu’actrice. Un de ses professeurs la complimente, il la trouve « lumineuse et à l’aise sur scène ». Les années de ‘ori tahiti l’ont bien aidée à se positionner sur les planches et surtout à ne pas craindre la lumière. Par contre, la parole, en langue française, c’est autre chose… « La façon de parler n’est pas la même selon les cultures. » Tout de suite, elle donne un exemple : passe-moi un verre d’eau version française et la même chose version française, mais à Tahiti. Impossible à reproduire ici à l’écrit, mais à l’oral c’est très clair ! « On m’a cataloguée Polynésienne. Ce n’était pas forcément péjoratif, mais il fallait que je perde mon accent par exemple. On ne comprenait pas toujours ce que je disais… » Une fois diplômée, elle travaille et écume les castings. Mais ça ne donne pas vraiment ce qu’elle avait espéré. « Tu rentres dans l’abnégation et la résilience. Il faut avoir une bonne confiance en soi. » Elle sait bien qu’un rôle fait avant tout partie de l’imaginaire de quelqu’un et qu’un casting, c’est beaucoup d’étapes à passer, que tout ne dépend pas d’elle. Mais on devine à travers ses souvenirs que ces années sont une épreuve. Heureusement, il y a la danse qui lui permet d’être sur scène, de vibrer et de s’exprimer. « Le ‘ori tahiti était là et me tenait. »
Après dix années à Paris, elle rentre à Tahiti et commence à enseigner. Mais rapidement, elle sent qu’elle n’en a pas fini avec sa carrière de comédienne et retourne dans la capitale pour une nouvelle formation. Cinéma cette fois, avec l’école Meisner Paris Studio. « C’était axé sur le jeu d’acteur instinctif. Pour jouer la comédie, il faut du talent bien sûr, mais aussi beaucoup de travail. J’ai appris à être là au moment présent et laisser la magie opérer. Ce n’est pas facile dans notre société où nous sommes plutôt control freak ! » Et donc jamais vraiment dans le moment présent…
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