L’année 2024 est consacrée aux 80 ans de la naissance de Henri Hiro. Plusieurs événements sont organisés pour rappeler quel homme engagé il était. L’occasion de rencontrer une de ses filles, Hitihiti Hiro, actuellement chargée des activités permanentes de la Maison de la culture.
L’exposition à la Maison de la culture s’est ouverte en mars : Henri Hiro, fou ou visionnaire ? Pour promouvoir l’événement, Hitihiti Hiro a plusieurs fois parlé devant la presse, le public. À nouveau plongée dans les souvenirs, est-ce difficile ou un plaisir ? « Ni l’un ni l’autre, répond-t-elle. Je ne suis pas euphorique à l’idée qu’on célèbre mon père, dans le sens où on le verrait comme une célébrité, mais il me semble important que le patrimoine polynésien qui n’est plus vivant, soit connu, que les gens qui ont œuvré pour ce pays soient reconnus. » Elle a toujours vécu avec cette idée-là. Son père fait partie de l’histoire de la Polynésie. Elle avait six ans quand il est décédé. « Je l’ai connu comme un personnage historique. Mais j’ai aussi des souvenirs précis de lui, je me rappelle de beaucoup de choses. » Sa différence n’a pas été toujours facile à vivre. Ce qu’elle raconte pour l’exposition : « Il voulait que l’on apprenne la vie sur notre Terre : celle qui nous nourrit, celle qui nous donne la vie. À Huahine, on vivait dans un jardin d’Eden où tout poussait. Nous avions de la nourriture en abondance : mangues greffées, ‘ōhure pi’o, pamplemousses, corossols (…). La mer et la rivière étaient un vivier de nourriture. Nous avions beaucoup d’animaux… On domestiquait les oiseaux. Malgré cela, j’en ai longtemps voulu à mes parents de nous avoir isolés du reste du monde. Pourquoi ils nous faisaient vivre une vie que je trouvais assez injuste, par rapport aux autres enfants. Pourquoi je n’avais pas les mêmes choses qu’eux ? Pourquoi je n’avais pas l’eau chaude pour me baigner, l’eau potable qui coule du robinet ? (…). »
Cette différence lui coûte aussi à l’école où on se moque d’elle : ton père est un fou, ton père est raciste, ton père est indépendantiste (une insulte à l’époque). « Nos parents nous disaient de ne pas faire attention, ma mère, Do Carlson, s’en fichait. Mais nous, les enfants, on se cachait dans la voiture. Nous étions considérés comme des gens bizarres là-bas, des gens qui vivaient loin, dans une vallée obscure. » Hihihiti Hiro supplie même sa mère de lui donner son nom de famille à elle à la place du nom de son père. Rien de bizarre en vérité, juste un homme qui voulait vivre selon ses convictions les plus profondes, en accord avec la culture polynésienne. « Mon père avait un certain standard de famille à respecter, il ne nous parlait qu’en tahitien, on vivait dans une maison polynésienne avec un fare pour chaque chose, nous mangions tous ensemble, et il fallait finir son assiette. » La famille vit à Tipaerui avant de partir pour Huahine, dans une vallée à l’écart de tout, où Henri Hiro entreprend d’aménager plusieurs hectares de terres en défrichant et plantant des arbres fruitiers. « Nous étions souvent ensemble, dans la nature, à la pêche dans le lagon ou dans les rivières, on cuisinait ensemble. Il nous montrait, on regardait. Notre téléphone c’était le talkie-walkie ! » Tout demande beaucoup d’efforts. Le confort n’est pas le même que pour les autres enfants, mais c’est aujourd’hui un souvenir précieux. Ce qu’elle ressent comme une « injustice » à l’époque, elle le voit comme « extraordinaire » aujourd’hui. À la mort de son père, la famille reste encore quelques années dans la vallée, mais à sa rentrée en troisième, la famille s’installe à Papeete.
Le choc. « Ça a été très dur. Le collège, les enfants différents, le béton partout, l’impression d’être dans une prison. Ça m’a beaucoup affectée. Notre maison polynésienne de Tipaerui était mon refuge. » C’est à ce moment-là que…
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