Première Polynésienne à obtenir un doctorat en archéologie, enseignante en histoire-géographie, elle est actuellement directrice du Musée de Tahiti et des îles. Depuis toujours l’histoire et la recherche la passionnent. Un père hongrois, une mère polynésienne, une fratrie de onze enfants dont elle est la dernière, elle grandit à Paris, adoptée par une métropolitaine, avant de renouer avec ses liens polynésiens.
La semaine reprend au musée de Tahiti et des îles après un week-end chargé. L’établissement est resté ouvert jusqu’à 21 heures samedi soir pour la Nuit des musées. Un événement européen auquel le musée de Tahiti n’a pas dérogé, ouvrant ses portes gratuitement au public. Hinanui Cauchois, la directrice, est fatiguée, mais enthousiaste : près de 700 personnes sont venues. « Il y avait des locaux, des touristes, des personnes de toutes les générations, c’est une réussite d’avoir ce mélange de visiteurs. Il y avait une bonne ambiance et j’ai vu les gens se précipiter sur les livres qui étaient bradés. » Une personne de l’équipe passe dans le couloir le long des fenêtres de son bureau, tout de suite elle fait signe : « 700 personnes », peut-on lire sur ses lèvres, levant les pouces, faisant rire l’employée. Elle croit parfois que rien ou presque ne la prédestinait à occuper un tel poste, mais on pourrait aussi croire l’inverse : tout l’y dirigeait. C’est à Paris qu’elle a grandi, adoptée par une femme venue de métropole se reposer entre Tahiti et Moorea après une opération, et qui est tombée sur ce bébé en train de dormir dans un coin d’une boutique. Choquée d’apprendre que la maman cherchait une famille pour adopter sa fille, elle refuse d’abord d’aller voir ce bébé avant d’accepter par politesse. Mais le bébé va alors ouvrir grand ses yeux et faire un sourire… « C’est l’histoire telle qu’elle me l’a racontée », explique aujourd’hui Hinanui Cauchois. Pas question de s’étaler sur son adoption, une histoire trop intime et délicate. « Je suis volubile en apparence, mais très pudique en vrai. » C’est en 1976 qu’elle quitte Moorea, alors que la pirogue Hokule’a arrive à Tahiti. « Quand j’ai fait mes études d’archéologie à Hawaii des années plus tard, j’avais Ben Finney comme professeur. À l’origine du projet de Hokule’a, il faisait partie du comité de ma thèse. »
Hinanui Cauchois aime ponctuer son histoire de tous ces signes qui la jalonnent. « Dans l’absolu ça ne signifie rien, mais je les prends comme des clins d’œil du destin. Pour moi, les choses doivent arriver comme elles arrivent. La vie te porte là où tu dois être, même si parfois certaines épreuves sont difficiles, même pas drôles du tout. Elles font partie du chemin. Je dirais bien une banalité philosophique, rigole-t-elle, mais pour moi la vie est une école permanente. On accepte ou on refuse les leçons, libre à chacun, mais généralement, tant qu’on n’a pas compris, la vie nous présente les mêmes scénarios. »
Cette petite fille s’envole donc avec sa maman fa’a’amu, Yvonne, vers Paris dans le VIe arrondissement. Loin de Papetoai d’où vient sa maman, Monique Pittman, alias Coucou, et de ses dix frères et sœurs tous plus vieux qu’elle. Elle arrive dans un milieu atypique, sa mère adoptive travaille la nuit. École privée catholique, Paris, la campagne dans le Vexin au Nord de la France… « Une belle enfance. » Très vite, elle se passionne pour la lecture. « Il parait que je me promenais avec des livres sous le bras avant même de savoir lire et je prétendais raconter l’histoire. J’adore les vieux papiers, les livres, leur odeur. J’étais fascinée par les vieilles photos, les costumes, les paysages et j’avais une passion pour les cartes topographiques. Je regardais les reliefs, où menaient les routes, vers quels villages… » Alors qu’elle est en CE2, l’école fait un truc « extraordinaire » : la classe est emmenée à la bibliothèque municipale. « C’était un jour incroyable. J’étais revenue avec une carte pour m’y inscrire que je m’étais empressée de faire signer à ma mère. J’ai ensuite passé mon temps là-bas, à lire tout et n’importe quoi, des romans, des livres d’art, d’histoire, de cuisine, des magazines… Tout y passait ! J’avais l’impression qu’à chaque fois que j’ouvrais un livre, je me retrouvais dans un autre monde. » L’histoire en particulier la passionne. La Polynésie est toujours plus ou moins là, mais c’est plus tard qu’elle commence à s’y intéresser sérieusement. Elle réalise petit à petit qu’elle n’est pas tout à fait comme les autres, qu’on la prend parfois pour une Maghrébine. « Ma mère m’avait dit certaines choses sur mon histoire en m’expliquant que ma mère biologique m’aimait, mais que sa vie était compliquée. » À l’époque, ce n’est pas facile de trouver des informations sur la Polynésie… Bien plus tard, elle est étudiante quand elle tombe « par hasard » sur un poster où est exposé la Vahine No Te Vi (la femme à la mangue) de Gauguin. « C’était dans une rue de Montmartre, au pied d’un arbre. Qu’est-ce que ça faisait là ? Je l’ai pris comme un signe sur ma route, je l’ai embarqué et tout s’est enclenché. »
C’est l’heure de reprendre contact avec sa famille polynésienne. Elle retrouve une adresse quand ses deux mères s’échangeaient des lettres, contacte une tante à Tahiti. « Un matin, le téléphone a sonné et quand j’ai décroché, j’ai entendu ce son particulier, j’ai tout de suite su que l’appel venait de Tahiti. » Sa tante lui donne le numéro de sa mère biologique, elle-même installée en France. « Ma mère pleurait tellement au téléphone que ma tante l’avait menacée de raccrocher si elle ne se calmait pas. Quand je l’ai eue, il y a aussi eu beaucoup d’émotions. » Elles se voient et sa mère lui répète sans cesse : « Quand tu rentreras à Tahiti… » Hinanui lui explique qu’elle ira, mais sans s’y installer. Sa mère insiste : « Si, si, tu verras… » C’est enfin…
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